Fragonard,” Le verrou”, HST, 73 x 93 cm, Musée du Louvre
« Frago, mon bon Frago, mon cher enfant, ta peinture te ressemble: Elle est enjouée, vive et légère, aussi pendant ton voyage en Italie ne va pas la gâter en l’étude des antiques qui sont choses poussiéreuses. Les Anciens – en leur temps – avaient leurs raisons pour étudier Raphaël, Michel Ange et leurs imitateurs mais je te le dis rien ne vaut, en vérité, la peinture faîte d’après les modèles vivants ! ». (*)
Celui qui s’exprime ainsi c’est François Boucher, mentor et ami du jeune Fragonard. Boucher « le lascif », Boucher « le débauché », Boucher « le scandaleux » mais aussi Boucher le grand peintre de la Cour. Celui qui sait si bien donner la vie aux modèles qu’il couche sur la toile en leur délicieuse nudité. Fanchon, Suzon, Lison, Ninon, ou Toinon, toutes ces belles – au teint de pêche et de rose, au fessier joufflu – lui doivent une éternelle reconnaissance pour avoir fixé pour la postérité la radieuse beauté de leurs jeunes années.
En 1732, dix ans après la disparition de Watteau, Jean-Honoré Fragonard naissait à Grasse, presque en même temps que Greuze et Hubert Robert ses contemporains. Chardin et Boucher, quant à eux étaient, déjà de jeunes peintres reconnus pour leurs talents et honorés par les grands de ce dix-huitième siècle.
Ruinée par des spéculations hasardeuses, et veuve de François Fragonard (le père de l’artiste), Françoise Petit, sa mère, doit rejoindre Paris avec son fils qui n’a alors que six ans. Quelque temps plus tard, elle place l’adolescent chez un notaire où il utilise sa plume pour dessiner plutôt que pour recopier les actes qui passent entre ses mains. Il est rapidement renvoyé auprès de sa mère qui décide alors qu’il ira apprendre à peindre chez Boucher. Hélas ce dernier a bien trop à faire, avec ses riches clients, ses jolis modèles et ses nombreuses maîtresses, pour perdre son temps à enseigner la peinture au jeune novice. C’est donc chez Chardin qu’il fera ses premiers pas. Après seulement six mois, ses progrès sont si remarquables que Boucher l’accepte gratuitement dans son atelier. Il deviendra très vite l’élève favori du Maître qui le pousse, en 1752, à tenter le concours du Grand Prix de Rome. Il y est reçu premier avec une œuvre intitulée « Jéroboam sacrifiant aux idoles ». Ce succès lui vaut d’intégrer l’Ecole Royale dirigée par Carle Van Loo qui lui enseigne l’anatomie du corps humain et les textes classiques. En décembre 1756 il part étudier en Italie à la Villa Médicis (*) sous la direction de Charles Joseph Natoire « qui autrefois avait peint de si belles femmes nues » et se lie d’amitié avec Greuze et l’abbé de Saint-Nom qui gravera avec soin nombre des œuvres de Fragonard.
De retour en France, il entre à l’Académie le 30 mars 1765 avec « Corésus et Callirhoé », oeuvre qui rencontre un énorme succès publique. Le Roi décide d’acquérir le tableau. Devant les grandes difficultés à se faire payer – l’Etat n’est pas bon payeur tout artiste le sait bien – Fragonard se détourne des travaux officiels au grand dam des critiques et amateurs d’Art qui voyaient en lui un grand peintre d’Histoire. De plus les commandes privées ne manquent pas. Sa peinture est agréable, elle plait. L’érotisme qui émane de certaines de ses œuvres comme « la Gimblette » (également traité par le sculpteur Clodion et plus tard par Antonin Fragonard), « le verrou », « la chemise enlevée », « les baigneuses » ou « les hasards heureux de l’escarpolette » (commande du baron de Saint Julien en 1767) n’a rien de trivial ou vulgaire. Il s’en dégage une joie de vivre, une légèreté de l’être qui séduit les marchands et les bourgeois amateurs de Watteau et de Boucher. Fragonard aime la volupté et les femmes et le traduit admirablement dans sa peinture, reflet d’une époque avide de plaisirs et de distractions frivoles.
En juin 1769 il épouse précipitamment l’artiste miniaturiste Marie-Anne Gérard qui, quelques mois plus tard, lui donnera une fille Rosalie (qui décédera en 1788). C’est à cette période qu’il fait un voyage en Hollande pour y étudier la peinture flamande. Après un second voyage en Italie, Marguerite Gérard – sa belle sœur dont il est amoureux – vient s’installer à son domicile (1775). Elle devient son élève (et sans doute sa maîtresse). Fragonard lui enseigne l’art de la gravure. Il peindront même ensemble certaines œuvres comme « l’Enfant chéri », « le Premier Pas de l’enfance » ou encore « le Baiser à la dérobée » qui se trouve aujourd’hui au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg et fut récemment présenté à Barcelone lors de la grande exposition consacrée à Fragonard (du 10 novembre 2006 au 11 février 2007).
Les bourgeois et la petite noblesse avaient fait sa fortune, la Révolution française le ruinera. Lorsqu’elle éclate, les Fragonard partent, loin de la fureur parisienne, s’installer à Grasse où il avait fait baptisé son fils Alexandre-Évariste (le 26 octobre 1780). Fin 1791 l’artiste est de retour dans la capitale et participe activement aux activités culturelles de la Révolution. Le style rococo – dont Watteau, Boucher et Fragonard furent les plus représentatifs – est mort. C’est désormais le néoclassicisme qui connaît la faveur du public. Il fait donc entrer son fils, âgé de douze ans, dans l’atelier de David qui est le chantre de la nouvelle école. C’est ce même David qui aidera Fragonard en le faisant d’abord nommer membre de la Société Républicaine des Arts puis président du conservatoire du musée des Beaux-Arts (l’actuel musée du Louvre). Jean-Honoré cesse de peindre tout absorbé qu’il est à sa nouvelle tâche qui est immense et chagriné de voir à quel point son fils déteste son œuvre : Alexandre-Évariste détruira et brûlera une partie des gravures de son père !
En 1802 il acquiert une maison au 57, rue de l’Oursine (aujourd’hui rue Broca). Créée au XIIe siècle, elle commençait rue Mouffetard, entre le pont aux Tripes sur la Bièvre et l’église Saint-Médard. Ce nom a souvent changé, ainsi on a écrit: Loursine, l’Oursine, l’Orsine, l’Ursine, Lorcines. Elle a été aussi appelée rue du Clos Ganay, rue de la Franchise ou rue des Cordelières ainsi nommée parce qu’ouverte sur des terrains provenant de l’ancien couvent des Cordelières. En fait il n’occupe guère cette maison car il est très souvent au Louvre qu’il lui faudra quitter comme tous les artistes en 1805, il s’installe alors au Palais-Royal où il rendra son dernier souffle, le 22 août 1806, après une vie toute entière dédiée à l’Art et aux artistes.
Outre son œuvre qui est immense, tant par la qualité que la quantité, il a laissé derrière lui une lignée d’artistes talentueux à commencer par son épouse Marie-Anne Gérard (miniaturiste), sa belle-sœur Marguerite Gérard, son fils Alexandre-Évariste Fragonard, sa petite fille Berthe Morisot et son arrière petit fils Antonin Fragonard (sculpteur).
Avec la superbe rétrospective du Grand Palais en 1987, suivie des expositions temporaires de Besançon, de Grasse, de Barcelone ou celle du Musée Jacquemart-André à Paris, des foules nombreuses d’admirateurs continuent de rendre hommage au génie de ce géant de la peinture. « Frago, mon Cher Frago, toi qui a su si bien traduire les émois de la chair, aujourd’hui comme hier, tu nous apportes toujours autant de plaisir dans la contemplation de tes tableaux. Sois-en remercié ! ».
(*) Ce ne sont pas les mots de Boucher mais ceux de l’auteur qui cependant a parfaitement respecté l’esprit plutôt que la lettre des propos tenus par Boucher à son élève avant le départ de celui-ci pour son premier voyage en Italie.
EN CADEAU la biographie de FRAGONARD par Camille Mauclair
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Et comme le bonheur se partage entre amis, je suis heureux d’ajouter un deuxième CADEAU. Il s’agit de l’édition numérique des dessins de François BOUCHER pour illustrer les œuvres de MOLIÈRE. Cette édition est tirée de la bibliothèque du Baron de Rothschild dans un superbe ouvrage édité en 1847 d’après l’édition parue en 1734. Pour la télécharger clique sur l’image ci-dessous.
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instructif
Bonjour Clément.
Merci pour votre retour sur cet article.
Au plaisir.
Jissé