Eugène DELACROIX
Le Romantique guidant le Peuple
Il est dans Paris des lieux où souffle l’esprit des poètes et des artistes, de ces lieux inspirés qui ravissent l’âme du promeneur tout en enchantant son cœur.
La Place de Fürstenberg est un de ces lieux où la magie opère, où le temps a suspendu son cours. Pour un peu on entendrait le pas des chevaux sonner sur le pavé. Tiens voit ce fiacre qui approche, le cocher tire sur les rênes pour immobiliser son attelage. Un homme élégant vêtu d’une redingote noire et coiffé d’un haut de forme en descend… Il salue d’un geste de la main avec sa canne au pommeau d’argent le fiacre qui s’éloigne et pénètre au 6… Cet homme il me semble l’avoir reconnu en la personne de Monsieur Alexandre Dumas.
Le grand homme de la peinture aime à s’entourer d’amis artistes peintres et écrivains comme Baudelaire, ou son fidèle camarade d’atelier aux Beaux-Arts, Paul Huet, artiste peintre comme lui.
Un petit cénacle se retrouve régulièrement chez Eugène pour y célébrer l’amour de l’Art et des belles lettres en toute amitié. Ils ont noms Lamartine, Théophile Gauthier, Alexandre Dumas, le peintre Paul Huet et quelques autres. On discute des œuvres exposées dans les salons, de la dernière pièce de théâtre vue sur les grands boulevards mais surtout on boit, on rit, bref on vit.
Mais comme dans certains films, quittons un instant ce havre de paix du 6 de la rue de Furstemberg pour faire défiler les aiguilles du temps à l’envers… Août 1797 nous sommes encore dans la période troublée de la Révolution Française. Il y a tout juste quatre ans montait à l’échafaud le citoyen Louis Capet, roi de son état plus connu sous le nom de Louis XVI…
La fièvre de la terreur est retombée mais il est encore difficile de vivre à Paris. C’est alors que Charles-François et Victoire Delacroix décident de s’installer dans une maison bourgeoise des environs de la Capitale, au 2 rue de Paris à Charenton Saint-Maurice. Tout à la joie de leur déménagement dans cette nouvelle demeure, le petit Eugène verra le jour neuf mois plus tard, le 26 avril 1798.
Son père est un grand bourgeois, d’abord avocat, puis député et ministre des Affaires extérieures (lorsqu’il emménage dans sa grande maison de Charenton) et sa mère – qui a 17 ans de moins que son mari – est fille de l’ébéniste de Louis XV et demi-sœur du peintre Henri-François Riesener (l’oncle d’Eugène).
L’enfant nait donc dans un milieu privilégié d’artistes et de grands commis de l’Etat. Il reçoit alors une solide instruction classique avec l’étude du Latin et du Grec. Les nombreux croquis et dessins qui ornent ses cahiers d’écoliers attestent déjà de ses dons artistiques. Artiste complet, comme Ingres, Delacroix est également musicien et joue du piano.
A la mort de sa mère (en 1814) un revers de fortune plonge Eugène (alors âgé de 16 ans) dans une grande précarité, il se retrouve alors sans le secours de ses parents puisqu’il avait perdu son père neuf ans plutôt. Deux ans plus tard il découvre l’aquarelle et son oncle le fait entrer aux Beaux-Arts où il étudie le dessin et la copie des Maîtres. Il se lie d’amitié avec Théodore Géricault de sept ans son aîné.
Delacroix bénéficiera, sa vie durant d’amis puissants, comme Talleyrand (que certains disent être son père véritable et qui était Franc-Maçon), comme le Duc de Morny demi-frère de Napoléon III ou comme le Président Adolphe Thiers (qui appartenait lui aussi à la Franc-Maçonnerie charbonnière) ou comme son ami Théodore Géricault (Franc-Maçon).
A partir de 1819 Delacroix commence une carrière de peintre d’intérieur en décorant les hôtels particuliers de riches bourgeois qui lui permet de vivoter tout en affirmant son style et sa technique. Plusieurs fois ma route a croisée l’ombre des pas du grand Homme. Plus jeune je passais mes vacances en famille à Fécamp où le peintre aimait à se rendre avec ses amis.
En Normandie, le peintre rend régulièrement visite à une cousine qui vit à Valmont (près de Fécamp) dans une grande propriété mitoyenne de la nôtre. Dans les temps modernes, après avoir été la propriété d’un banquier (notre voisin), elle fut revendue à une congrégation religieuse (nonnes Bénédictines) qui a récemment restauré l’abbaye en ruine.
Cette abbaye conservait deux vitraux assemblés par Delacroix à partir de fragments de vitraux plus anciens. Il y avait aussi dans la maison trois fresques, que l’on peut à présent admirer au Musée Delacroix (rue de Furstemberg) à Paris. Ces fresques sont parmi ses tous premiers essais en peintures murales avant les peintures ornementales qu’il réalisera sur commande de l’Etat à l’Assemblée Nationale.
Son ami Théodore Géricault (1) peint une œuvre gigantesque qui impressionne vivement le jeune Delacroix et s’intitule « scène d’un naufrage » (qui sera rebaptisée « le radeau de la Méduse »). Le jeune homme est frappé par la dimension 5 x 7 mètres et la force dramatique qui s’en dégage. L’œuvre ne laisse personne indifférent et une polémique entre les pros et les antis s’engagent dans les Salons Parisiens. La carrière de Géricault est lancée.
En 1822 Eugène a retenu la leçon de son illustre aîné et décide à son tour de sortir de « l’anonymat » en frappant de stupeur l’esprit de ses contemporains. C’est décidé il va se présenter officiellement au Salon comme ses amis. Seulement il s’y prend tardivement, trois mois avant d’accrocher il ne sait toujours pas quoi peindre et puis il a une illumination soudaine.
Il lui revient en mémoire la forte impression ressentie devant la scène de naufrage de son ami Théodore, il griffonne à la hâte quelques esquisses… Oui il va faire quelque chose dans le même esprit, sans copier, mais qui retrouve la même force allégorique, le même drame poignant de ses naufragés en mer… Ce sera « Dante et Virgile dans la barque de Caron ».
Seulement voilà le temps presse : Eugène veut faire un tableau aussi grand que possible pour le peu de temps dont il dispose. Il faut trouver une solution, les temps de séchages sont trop longs, il doit bien être possible de les raccourcir ? Eugène ne prend pas la peine de respecter les règles de l’Art. Il utilise des vernis et des siccatifs pour accélérer le séchage des couches picturales. Mal lui en a pris car après quelques années d’énormes boursouflures et craquelures apparaissent. Tant et si bien qu’en 1860 il devra lui-même procéder à la restauration de sa toile !
La critique est vive, et stigmatise la ressemblance avec l’œuvre de Géricault mais Adolphe Thiers alors jeune journaliste défend la toile et promet à Eugène un grand avenir… L’Etat achète le tableau pour 2.000 francs (Eugène en demandait 2.400), avec cette acquisition le voilà entré dans la cour des grands. Au Salon il fait la connaissance d’un autre artiste Paul Huet avec qui il restera ami toute sa vie. Ce sera d’ailleurs Paul Huet qui fera l’éloge funèbre de son ami lors des funérailles de celui-ci.
Le 26 janvier 1824 Théodore Géricault meurt et bien malgré lui Delacroix devient le chef de file de l’école Romantique. Eugène déteste le classicisme « froid » de David car il le considère comme figé et sans vie. Il préfère la touche sensuelle de Rubens ou celle plus légère de Fragonard.
Comme Géricault il aime à dessiner et peindre des chevaux. Il s’inspire des scènes de l’actualité comme le massacre par les Turcs en 1822 de la population Grecque de l’île de Chio – qui a de nos jours une résonnance avec l’occupation de la moitié Nord de Chypre par les troupes de l’armée sunnite Turc en 1974 – pour réaliser sa « scène des massacres de Scio ». Les critiques se déchaînent sur l’infortuné Eugène qui continue de bénéficier de l’indéfectible soutien d’Adolphe Thiers, Charles Baudelaire ou Théophile Gautier tous les trois Francs-Maçons.
A partir de 1826, Delacroix fréquente Victor Hugo (dont le père est Maçon). Un petit groupe d’amis se réunit dans l’appartement de Charles Nodier (lui-même Maçon) rue de Provence, puis Charles Nodier ayant été nommé bibliothécaire de la Bibliothèque de l’Arsenal c’est en ce lieu que se réunissent désormais nos amis…
Et que trouve t’on en cette bibliothèque ? Un important fond d’ouvrages occultes et ésotériques dont une partie constituée au XVIIIème siècle par le Marquis de Paulmy. Eugène se rend souvent près de Nevers dans le château de son ami le général Charles Yves César Cyr du Coëtlosquet (Vénérable de la Loge la Parfaite Alliance). Cela fait beaucoup de « coïncidences et rencontres fortuites » avec la Maçonnerie.
Bien que le « modernisme » de sa touche déplaisent aux tenants de l’école classique qui lui préfèrent Ingres ou David, Eugène bénéficie de nombreuses commandes d’Etat. Avec l’arrivée au pouvoir de Louis-Philippe (fils de Louis Philippe d’Orléans ancien Grand Maître du Grand Orient de France), trois concours sont lancés pour la décoration de la Salle des séances de la Chambre des députés. Delacroix se présente à deux d’entre eux :
- La protestation du Franc-Maçon Mirabeau au Franc-Maçon de Dreux-Brézé « nous sommes ici par la volonté du Peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes ».
- Le Franc-Maçon Boissy d’Anglas tenant tête aux émeutiers.
Ingres fait partie du jury. Il existe une certaine inimitié entre le très « classique » Ingres et le « moderne et romantique » Delacroix ce qui a pour conséquence le refus des projets de Delacroix.
Qu’à cela ne tienne, en 1831 Eugène présente au Salon « la Liberté guidant le Peuple » que le roi Louis Philippe 1er achète pour le Palais du Luxembourg (le Sénat). Il est alors décoré de la Légion d’Honneur. Le tableau est désormais au Louvre (depuis 1874).
L’année suivante il accompagne le Comte Charles Edgar de Mornay (2) en mission diplomatique au Maroc. Delacroix renoue avec l’aquarelle dans ses célèbres carnets de croquis de voyage. Dès son retour de voyage en Afrique du Nord, le « frère » Thiers lui confie la décoration du Salon du Roi au Palais Bourbon (Assemblée Nationale).
En 1838 le Ministre de l’Intérieur Camille de Montalivet (membre d’un Ordre Maçonnique pseudo Templier dont le Grand Maître était Fabré Palaprat) confie à Delacroix la décoration des plafonds de la bibliothèque de l’Assemblée Nationale. Il faudra neuf ans à l’artiste pour achever ce chantier colossale. Il réalisera aussi des décors pour la bibliothèque du Sénat, pour le Salon de la Paix à l’Hôtel de Ville de Paris (incendié en 1871), et pour la Galerie d’Apollon au Louvre.
Sur la fin de sa vie il reçoit commande de trois fresques pour l’église Saint Sulpice à Paris. Pour se rapprocher de ce chantier, Delacroix s’installe au 6 de la rue Furstemberg dont j’ai parlé au début de cet article.
La question suivante qui me brûle les lèvres est de savoir si Delacroix était un « enfant de la veuve » ? Bien que nul part sur internet il n’en soit fait mention – ni dans aucun ouvrage qui me soit connu – j’ai tout lieu de croire qu’Eugène était Maçon. Plusieurs indices me permettent de l’affirmer. D’abord l’appui discret mais constant de Maçons reconnus comme tels dans son cercle d’amis proches. Ensuite son œuvre la plus célèbre « la Liberté guidant le Peuple » dont la symbolique Maçonnique me semble évidente, enfin la manière même de signer du peintre qui signe ses tableaux « Eug. Delacroix . » qui lui permet ainsi de placer les « fameux trois points » dans sa signature.
L’abréviation d’Eugène en « Eug. » permet de positionner un premier point, le deuxième point étant naturellement celui du « i » de Delacroix, mais pourquoi placer un point « final » après son nom sinon pour faire apparaître dans sa signature le troisième point du triangle Maçonnique ?
Tuberculeux, comme son ami Géricault, le grand homme s’éteint au soir du 13 août 1863 en sa maison atelier de Paris.
J’ai dit qu’à maintes reprises ma route avait croisée l’ombre des pas de cet albatros de la peinture… J’ai évoqué Valmont en Normandie où nous avions une propriété mitoyenne de l’Abbaye où Delacroix venait régulièrement se reposer chez ses cousins, mais j’ai aussi cité le nom de l’artiste peintre Paul Huet qui fut un ami fidèle jusqu’à la mort du grand homme.
Il arrivait à Delacroix de rendre visite à son ami en son hôtel particulier situé au fond d’une voie privée au 55 rue du Cherche-Midi. Cet hôtel particulier fût mon école trois années durant puisque l’ESTB (Ecole des Sciences et Techniques du Bâtiment) s’y était installée. Quelques années après, comme ma mère l’avait fait avant moi, je suis sorti major de promo avec médaille de cet établissement qui fut fréquenté au XIXème siècle par Eugène Delacroix et ses amis très proches.
Mais l’anecdote ne s’arrête pas là puisque mes parents travaillaient tous deux à l’Assemblée Nationale, maman au service des Bâtiments et papa comme chef des Huissiers. Enfant, en la compagnie de mon cher père, j’ai donc déambulé dans les couloirs de cette auguste maison et pu admirer les plafonds et décors peints par l’Artiste.
Enfin mes années d’études en Architecture à l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris ont fait que mes yeux ont contemplé les mêmes lieux en tous sens parcourus. A la fin de mes études mon atelier fût contraint de déménager pour s’installer à Charenton le Pont… à trois minutes à pieds du quartier Saint-Maurice où naquit Eugène Delacroix. Hasard ? Je ne le crois pas… Il fallait que cela soit ainsi.
Un dernier « clin d’œil du destin » : Delacroix avait acheté une petite maison à Draveil dans le quartier de Champrosay. Avant de quitter le métier d’architecte, mon dernier chantier fut l’agrandissement d’une maison située dans le parc de « Paris jardin » à Draveil proche du lieu où résidait l’artiste. Toutes ces similitudes je ne les ai découvertes que bien plus tard.
Avec cet article, j’adresse un Salut Fraternel à Eugène Delacroix où qu’il soit. Que son âme repose en Paix.
(1) Théodore Géricault était Franc-Maçon, sans doute introduit en Maçonnerie par son professeur le peintre Antoine Charles Horace Vernet.
(2) Nous trouvons trace d’un Aimé René Comte de Mornay, parmi les frères du Grand Orient de Paris, dans la Loge Maçonnique « Les amis réunis ». Ce n’est pas notre homme, mais le titre nobiliaire et le nom me laissent à penser que nous sommes en présence d’une famille de Maçons… Le peintre Hubert Robert était membre de cette même Loge.
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