« Jeune effrontée, quand cesserez-vous d’importuner votre père dans l’excellence de son travail » ?
« Sachez Madame ma mère que je n’importune point mon cher papa et qu’il m’instruit sur la manière de peindre des fleurs »
« Laissez ma douce amie, l’enfant ne me gêne pas, si tel était le cas je la ferais sortir de mon atelier. Pour l’occuper je lui ai donné quelques fleurs à croquer. Pour ses 11 ans, l’œil est vif et la main est sûre, elle fera vite des progrès » !
Les protagonistes de cette scène dans laquelle nous nous immisçons, sont la jeune Louise Elisabeth Vigée Lebrun et ses parents. Son père Louis Vigée est un pastelliste de talent, certes moins renommé que La Tour qui est la référence de l’époque en matière de portraits aux pastels, ces petits bâtons de craies de couleurs.
Sa maman Jeanne Maissin est fille de paysans Lorrains. La famille est unie. La petite Louise Elisabeth est née à Paris le 16 avril 1755. Elle a cinq ans lorsqu’elle est placée au couvent pour y recevoir une éducation religieuse stricte mais cette austérité n’est pas faite pour une enfant sensible et elle quittera cette institution pour retourner chez ses parents en 1766.
Malheureusement elle ne va pas profiter bien longtemps des conseils avisés de son artiste de père qui meurt en mai 1768. Les artistes amis de son père encouragent l’enfant douée à dessiner d’après Nature au fusain et aux pastels.
Elisabeth est passionnée d’Art, elle vit et respire le dessin et la peinture par tous les pores de sa peau. C’est décidé elle sera Artiste Peintre comme son père et rien n’y personne ne pourra l’en décourager. Cette jeune personne est déterminée : C’est une native du signe du Bélier !
Pour beaucoup d’entre nous la perte d’un père ou d’une mère constitue une épreuve traumatisante mais il semblerait que la perte de son père ait agit comme un révélateur.
Cette demoiselle, malgré son jeune âge, fait preuve d’un courage, d’une volonté et d’une persévérance que pourraient lui envier bien des adultes. Elle est enthousiaste et confiante en ses possibilités.
Elisabeth se sait intelligente, voire brillante, et beaucoup admirent sa force de travail. Ambitieuse, elle aime le luxe et veut briller en société. Autant d’atouts qui vont lui servir à asseoir sa jeune carrière.
A 15 ans, indépendante et libre, elle se déclare artiste peintre professionnelle sous la protection de Louise de Bourbon Penthièvre Duchesse de Chartres. La voilà lancée dans le monde de la noblesse. Ses premiers modèles sont les membres de sa famille.
Lorsque l’on voit la qualité du portrait de la mère de l’artiste, on peine à s’imaginer qu’il est l’œuvre d’une enfant de quinze ans et demi tant il y a de la maturité et de l’excellence dans cette œuvre !
Dans les salons de l’aristocratie, la noblesse Française se pique de développer quelques talents artistiques, les uns jouant de l’épinette ou du luth, les autres pratiquant le menuet, quelques-unes faisant tapisserie ou déclamant des vers.
Très vite on sollicite la jeune Elisabeth pour faire des portraits de famille. Elle y excelle. Elle n’a pas dix-huit ans révolus qu’elle compte déjà à son actif presque une trentaine de portraits. La petite et grande noblesse s’entiche de cette aimable jeune artiste dont le talent est bien réel.
Pour ses vingt ans elle offre deux portraits à l’Académie Royale de peinture qui en retour lui permet d’assister aux séances publiques à l’ordinaire plutôt réservées aux hommes.
Veuve, la mère d’Elisabeth, se remarie avec un riche joaillier de la rue Saint Honoré proche du Palais-Royal. A Marly, lors d’une promenade matinale avec sa mère, elle croise la Reine Marie-Antoinette accompagnée de quelques suivantes.
Elisabeth sait entretenir de solides amitiés avec les gens puissants qui lui ouvrent les portes de la Cour.
A vingt et un an elle épouse Jean-Baptiste Pierre Lebrun expert et marchand de tableaux, son ainé de sept ans. Il a « flairé » qu’Elisabeth est promise à une brillante carrière et il ne se trompe pas.
Sitôt le mariage prononcé, la Reine Marie-Antoinette fait venir Elisabeth à Versailles pour lui commander l’exécution d’un grand portrait et deux copies qu’elle veut envoyer à la cour d’Autriche pour son frère Joseph II et sa mère l’impératrice.
Cette commande royale (1779) achève de lancer Elisabeth Vigée Lebrun dans « le grand monde » ou plutôt « dans le monde des grands ». Duchesses et Princesses font la queue devant la porte de son atelier pour que l’artiste fasse leur portrait quand elle ne peint pas pour la famille royale.
En 1780 elle ne s’arrête guère de peindre pour donner naissance à la petite Jeanne Julie Louise.
En 1781 elle peint le Comte de Provence, Monsieur, frère du Roi.
Un an plus tard elle réalise son « autoportrait au chapeau de paille ». On y découvre une jolie frimousse aux traits réguliers, à la bouche petite et charnue accompagné d’un petit nez droit et de deux grands yeux pour observer le monde qui défile dans son atelier.
Ce portrait lui a été inspiré d’un récent voyage en Hollande en la compagnie de son époux. Là elle y avait admiré un portrait au chapeau de paille de Peter Paul Rubens.
En 1783, âgée d’à peine 28 ans, elle est admise à l’Académie Royale de Peinture et réalise un nouveau grand portrait à la rose de son « amie » Marie-Antoinette. C’est d’ailleurs la souveraine qui plaide auprès du Roi son époux pour que Louis XVI appuie la candidature d’Elisabeth pour entrer à l’Académie.
L’année suivante elle donne naissance à une seconde fille mais l’enfant malheureusement ne vivra que trois mois. C’est alors que débute le scandale de l’affaire du collier qui va entretenir un climat délétère à la cour de France.
Abusé par la Comtesse de La Motte Valois et l’énigmatique Comte de Cagliostro, le riche Cardinal de Rohan se laisse persuadé d’acheter pour le compte de la Reine (dont il est secrètement amoureux) un collier de diamants d’une valeur d’un million six cent mille livres.
Bien évidemment la souveraine n’en verra jamais la couleur et les diamants disparaitront au profit des escrocs. Mais l’affaire arrive bientôt aux oreilles du Roi qui n’entend point l’étouffer. Le scandale est public et la Reine se trouve éclaboussée.
Il faut avouer que l’escroquerie a été savamment orchestrée par Madame de La Motte Valois qui a recouru aux bons offices d’un faussaire, son amant pour imiter l’écriture et la signature de Marie-Antoinette et d’une prostituée du Palais Royal ressemblant à la Reine et portant une robe de mousseline à pois à l’imitation d’un tableau d’Elisabeth Vigée LeBrun.
Le piège se referme sur l’infortuné (c’est une façon de parler assez peu conforme à la réalité) Cardinal de Rohan qui se porte acquéreur du collier en pensant qu’il est destiné à la souveraine. Le retentissement donné à cette affaire est tel que de nombreux pamphlets circulent dans Paris contre la monarchie.
A la demande de la Reine, le Cardinal de Rohan est embastillé sur une lettre de cachet de Louis XVI ainsi que Cagliostro, Madame de La Motte et la prostituée qui s’était faite passée pour la Reine de France.
Loin d’étouffer le scandale, ces arrestations embrasent l’opinion publique qui pense que les souverains sont coupables de dilapider l’argent du royaume par des dépenses excessives : La Révolution n’est pas loin !
Elisabeth est atterrée par cette triste affaire qui salit l’image de Marie-Antoinette « l’autre chienne » comme la désigne la vindicte populaire.
En 1787 elle fait un nouveau portrait de la souveraine en la compagnie de ses enfants mais bientôt la tourmente révolutionnaire et les liens privilégiés qu’elle entretenait avec les grands du royaume oblige l’artiste à fuir avec sa fille en Italie.
Après avoir parcouru Turin, Parme, Bologne, Milan, Venise, Florence et Rome elle part pour Vienne. En 1794 elle divorce de Jean-Baptiste Pierre Lebrun son marchand d’époux.
Elle décide bientôt de quitter l’Autriche pour aller vivre en Russie notamment à Saint Pétersbourg. Après un court séjour à Berlin elle revient à Paris en 1802. Napoléon Bonaparte devient Consul à vie.
Après un séjour à Londres, elle reçoit une commande officiel pour peindre la Princesse Murat, puis se sera ensuite celui de Caroline Bonaparte et sa fille Letizia.
En 1809 elle achète une grande maison de briques et de pierres à Louveciennes près de Marly le Roi où elle résidera jusqu’à sa mort.
Dix ans plus tard sa fille chérie meurt à 39 ans ce qui cause un vif chagrin à Elisabeth. L’année suivante (1820) nouvelle douleur avec la mort de son frère Etienne.
A soixante-dix ans Elisabeth décide de rédiger ses mémoires car elle fut le témoin privilégié de la fin de la Monarchie et la naissance de l’Empire puis de l’abdication et l’exil de Napoléon.
En 1835 parait le tome premier de « ses souvenirs » qui deux ans plus tard verra la publication des tomes deux et trois.
Enfin le 30 mars 1842 après une longue vie de labeur et d’honneur, Elisabeth Vigée Lebrun s’éteint en la capitale rue Saint Lazare, à l’âge respectable de 87 ans. Elle repose pour l’éternité au cimetière de Louveciennes.
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