Il était une fois en la ville de Besançon un petit garçon à l’étrange destinée. Ce petit homme – Victor de son prénom – vit le jour le 26 février de l’an 1802. Tout ce que l’on sait de lui touche au merveilleux dans le sens « fantastique » du mot. Lecteur mon ami juge par toi-même.
Fils d’un général de Napoléon anoblit du titre de Comte, neveu d’un colonel du Premier Empire, il connaît les plus grands honneurs en sa qualité de Pair de France sous la monarchie, puis il devient député et sénateur sous la République. D’abord à droite et plus tard à l’extrême gauche il connait, tour à tour, la gloire puis l’exil en terre étrangère où il séjourna 20 ans dans les îles Anglo-Normandes de Jersey et Guernesey.
Ses débuts dans la vie furent plutôt modestes mais à sa mort il était en possession d’une fortune que l’on estime à près de 60 millions de nos modernes euros. Homme de paradoxes, on le disait tout à la fois « très économe » portant un vieux paletot ou un chapeau élimé et des chaussures fatiguées mais on le savait aussi prodiguant des dons généreux.
Mari infidèle on lui connait une maîtresse « légitime » Juliette (connue et acceptée de son épouse Adèle), mais aussi plus de 500 autres « amantes d’un jour » qu’il notait précieusement dans un petit carnet. Avec Juliette il échangera une correspondance fournie de plus de 20.000 lettres. Au cours de sa carrière littéraire, poète il a rédigé un peu moins de 154.000 vers et 53 volumes. Il devient « immortel » (Académie Française) à l’âge de 39 ans.
Ce « surhomme » eut cinq enfants. Le premier, un fils, Léopold meurt trois mois après sa naissance, suivent deux garçons et deux filles aux destins tragiques. Léopoldine l’aînée des deux filles se noie, elle a 19 ans. Suite à ce drame affreux Adèle, la benjamine est « frappée de folie ». Internée dans un asile psychiatrique elle mourra de solitude et de chagrin.
Enfin après plusieurs jours d’agonie, âgé de 83 ans, notre homme s’éteindra à Paris d’une congestion pulmonaire. On lui fait des obsèques nationales et cinq jours plus tard sa dépouille rejoint la cohorte des illustres figures du Panthéon…
Ce héros c’est bien sûr, le père de Gavroche et Cosette, l’auteur « des Misérables », mais aussi celui de « Notre Dame de Paris ». Si je m’intéresse aujourd’hui à lui c’est pour les milliers de dessins (environ 4.000) qu’il a laissé, souvent des petits formats. Mais revenons un peu plus en détail sur certains épisodes de la vie de ce géant de la littérature: Victor Hugo dessinateur prolifique à ses moments perdus.
Depuis sa plus tendre enfance Victor griffonne des petits dessins sur les pages blanches de ses cahiers, il aime aussi alignés d’une petite écriture fine et ordonnée les mots qui apparaissent « sur l’écran noire de ses nuits blanches ». Imaginatif et créatif il l’est et infatigable surtout. Son imagination fertile le conduit sur les chemins poussiéreux de lointaines contrées. Les yeux fermés, il lui semble entendre le vacarme du cliquetis des armures se mêlant aux le martèlement des épées sur les flancs de lourds boucliers. Un jour il chevauche un fier destrier aux côtés d’Arthur et des chevaliers de la Table Ronde et le lendemain le voilà voguant sur la Santa Maria de Christophe Colomb à la découverte du nouveau Monde.
C’est la richesse et le privilège de mon imagination que de pouvoir incarner tour à tour les héros réels ou imaginaires qui habitent mes pensées : Ivanhoé, d’Artagnan, ou le capitaine Nemo, et même Tintin reporter. Et le merveilleux se mélange alors avec la vie de tous les jours pour tisser un lien magique entre moi et toutes ces figures historiques dont je parle sur mon blog.
Avec Hugo ce sont un rapide séjour il y a quelques années sur l’île de Jersey, et bien évidemment le plaisir du dessin, ou même celui de l’écriture qui me lient à lui. Mais c’est aussi Paris et son Parlement, lui pour y avoir été en sa qualité de représentant élu du peuple et moi parce que je suis né à Paris et que des membres de ma famille ont travaillé pendant de très nombreuses années à l’Assemblée Nationale où Hugo a siégé en sa qualité de député de la Nation.
Le hasard n’existe pas, même dans le choix des sujets que je traite et que mon intuition me dicte. C’est pourquoi je les aime mes artistes, mes écrivains, mes peintres, mes sculpteurs, mes poètes maudits, mes penseurs, mes philosophes, mes « obscurs », mes « sans-grades », mes inconnus ou mes célébrités, ils sont de « ma » famille et je me reconnais bien modestement comme l’ombre de leur ombre en ce qu’ils furent pour un moment de leur vie.
Ce sentiment d’appartenance à une « famille de cœur » nous pouvons tous le ressentir un jour lorsque l’on réalise que le soleil qui nous éclaire fut le même pour toutes les générations qui nous ont précédé. Rends-toi compte de la magie de la vie qui fait que Delacroix, Van Gogh, Victor Hugo ou Thot-Ankh-Amon ont tous un jour admiré le lever ou le coucher du même astre diurne dans toute son éblouissante splendeur.
Ce fort sentiment chez moi suffit à me faire voyager par la pensée dans l’espace et dans le temps. Je suis ouvrier sur le chantier des pyramides d’Egypte, écuyer d’un chevalier du Temple, aspirant peintre chez Vermeer, voire même en téléportation aux confins de l’Univers dans un engin intergalactique se déplaçant à la vitesse de la pensée. Plus tard je suis assis à la table du banquet aux noces de Cana. L’esprit humain ne connait pas de limites, du moins le mien n’en a pas… Mais revenons à Hugo.
La forteresse est un thème qui revient régulièrement au bout de son crayon. En 1831 il publie Notre-Dame de Paris. « Nostre-Dame fut au commencement de notre religion et en elle et en l’honneur d’elle sera la fin de notre religion » clamaient les Templiers. Les chevaliers ont cessé d’être mais Notre-Dame continue de se dresser fièrement au cœur de Paris dont elle est le chœur : Elle enchante et illumine la vieille cité de son éternelle beauté dans ses draperies de pierres calcaires qui blondissent au soleil. Elle vogue sur la Seine tel un bateau qui glisse au fil de l’eau. Paris je t’aime !
Avec le XIXème siècle revient le goût pour l’époque médiévale et les châteaux forts du moyen-âge dont la haute silhouette crénelée se dresse, dans l’obscurité de la nuit, comme un rempart à nos peurs nocturnes et nos cauchemars. Viollet-Le-Duc coiffe Notre-Dame de Paris d’une flèche qui s’élance dans le ciel azuré de la capitale tandis qu’il restaure également Pierrefonds, Vézelay ou la cité de Carcassonne.
Outre Rhin c’est Wagner qui triomphe avec Parsifal (Perceval) ou Lohengrin. La « Queste du Graal », Arthur et les chevaliers de la Table Ronde peuplent l’imaginaire de cette époque romantique et dans les riches salons Parisiens les messieurs en habits et les belles dames en robes de taffetas à crinolines valsent sur les airs de Monsieur Johann Strauss. Musique maestro 1, 2, 3, 4,… 1, 2, 3, 4,… Lambris dorés, lourds lustres de cristal, les couples virevoltent légers comme les bulles d’une flute de champagne.
Le « beau monde » s’étourdit tandis que plus bas sur la place de la Contrescarpe deux bandes rivales jouent du couteau. Les Thénardier, Jean Valjean, Gavroche, tout ce petit peuple de Paris s’agite sous les fenêtres de Monsieur Hugo. La « populace » se révolte contre les nantis et les puissants: Les bourgeois !
Juin 1848 pour protester contre la fermeture des ateliers nationaux (l’ANPE de l’époque) rue Soufflot on érige à la hâte des barricades qui sont reprises rapidement. Le 24 juin Victor Hugo fraîchement élu député de la Droite, au péril de sa vie, se lance à l’assaut de l’une d’entre elle qu’il démantèle de ses mains. Depuis la mort de Léopoldine Victor trompe la mort qui le boude.
Depuis cette année terrible de 1843, le poète est brisé par le chagrin comme la vague se brise sur le rocher ! Sa chère Léopoldine, sa « Didine » n’est plus ! La chair de sa chair a été avalée par les eaux noires et profondes de la Seine comme un écho cruel à son poème « Oceano Nox » et avec elle a péri son jeune mari qui – bien qu’excellent nageur – a préféré accompagner dans la mort son épouse aimée. En vain il interroge les cieux pour comprendre.
Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis !
Combien ont disparu, dure et triste fortune !
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l’aveugle océan à jamais enfouis !
…
Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ?
O flots, que vous savez de lugubres histoires !
Flots profonds redoutés des mères à genoux !
Vous vous les racontez en montant les marées,
Et c’est ce qui vous fait ces voix désespérées
Que vous avez le soir quand vous venez vers nous!
Le père se sent coupable d’avoir été absent lors de la noyade de son enfant alors qu’il était en voyage avec sa maîtresse la belle Juliette Drouet et cette pensée douloureuse l’obsède. Pour un temps il renonce à l’écriture et se lance dans la politique tout en se tournant vers le dessin « automatique » qu’il pratique comme un exutoire à son incommensurable peine. Tel Achille, colosse aux pieds d’argiles, Hugo se sent soudain bien fragile face à l’adversité terrible qui le frappe. Il voudrait souffrir mille morts pour rejoindre, comme son gendre qu’il appelle « mon fils », celle qu’il pleure chaque jour, son inspiration, sa muse, sa fille bien aimée.
La sanglante répression de la révolution de 1848 avec ses 5.000 morts, ses 25.000 prisonniers (dont 1.500 fusillés) et ses 11.000 emprisonnés font vaciller ses convictions politiques tout en faisant naitre en lui « une prise de conscience révolutionnaire ». En 1862 il fait paraître « les Misérables » et en 1871 il se porte de nouveau à la députation mais cette fois-ci sur les listes d’extrême gauche. Rien n’est banal chez cet homme singulier.
Pendant ses vingt années d’exil, en sa maison d’Hauteville House à Guernesey, Victor pour faire ses dessins utilise de l’encre qu’il mélange au café, ou à la suie de la cheminée afin obtenir des noirs colorés qui traduisent les tourments de son âme abîmée en l’immense chagrin de la perte irréparable de sa fille adorée.
Parfois il ajoute de la gouache blanche et même du dentifrice lorsque la peinture vient à lui manquer. C’est que sur une île, il n’est pas toujours facile de se procurer des tubes de peintures (qui viennent tout juste d’être inventés dix ans plus tôt). Hugo plein de ressources n’est jamais à court d’idées. Comment le pourrait-il lui qui depuis son enfance se perd en d’interminables rêveries ? Les images lui viennent naturellement lorsqu’il laisse courir sa main librement sur le papier.
Victor en la compagnie d’amis proches fait tourner les tables pendant les séances spirites quotidiennes (ou presque) au cours desquelles il invoque l’âme de Léopoldine. Le spiritisme, comme le « dessin ou l’écriture automatique », ou les séances de « oui-ja » sont à la mode depuis qu’Allan Kardec a théorisé sur la survie des esprits après la mort et le contact avec l’au-delà par le biais des médiums ou des tables tournantes.
Quelque fois, une tache d’encre sur le papier sert de point de départ au dessin qui apparaît progressivement sous la main de l’artiste. Pour Hugo une tache n’est pas un accident mais un signe du ciel auquel il répond en lâchant prise afin que sa main « soit guidée » et le dessin devient prétexte à coucher sur le papier quelques vers qui peuvent à leur tour susciter un nouveau petit dessin. Ainsi s’enchaînent les journées en la grande demeure bourgeoise de la campagne Anglaise. Bien qu’ami de Delacroix il ne prise guère sa peinture et lui préfère les classiques Michel-Ange et Rembrandt, ou encore Vinci, Titien, Véronèse ou Rubens.
Bref cet hyper actif ne s’arrête jamais de créer. « Dieu ta fait ainsi » lui répétait sa mère « Tu es fait pour créer de belles choses qui ravissent l’âme de tes lecteurs. C’est une bénédiction mon fils, sois-en reconnaissant ». Hugo créé c’est là sa « mission sur terre », il ne s’arrêtera pas de créer jusqu’à ce que la mort l’emporte au firmament rejoindre Homère, Voltaire, Molière et Rousseau. « Si j’suis tombé par terre c’est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau c’est la faute à Rousseau ». Hugo et Gavroche s’en sont allé, main dans la main, sur la voie lactée parmi les étoiles. Grand homme tu as bien mérité ton repos éternel car tu as bien œuvré !
Pour télécharger GRATUITEMENT le livre “Les dessins de Victor Hugo” texte de Théophile Gautier
Fac-similé de 90 pages (Editions Numériques Google) d’après l’édition de 1863.
Clique sur l’image ci-dessous.
NB: A la suite de l’incendie de Notre-Dame de Paris vous êtes nombreux à vouloir relire le roman de Victor Hugo, je te propose donc de télécharger NOTRE-DAME DE PARIS (édition de 1858 enrichie d’une photo de l’auteur – source Gallica)
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Bonjour Jissé,
Les dessins de Victor Hugo… C’est un bien joli cadeau que vous faites aux suiveurs de votre blog.
Merci.
Bonjour mon amie,
Merci mais c’est Google qu’il faut remercier car ce sont eux qui ont scanné cet ouvrage tombé depuis longtemps dans le domaine public… C’est pourquoi j’ai laissé la page Google et leur filigrane. Je me suis contenté de retirer quelques pages blanches, deux pages bleues générées par Google et le scan des pages de “papier de soie” qui protègent les gravures car toutes ces pages “alourdissent” le poids du document et ralentissent son téléchargement. J’aurais pu me contenter de donner directement le lien vers Google livres mais j’ai préféré pour les raisons expliquées stocker sur mon hébergement ce fichier PDF.
J’ai fais la même chose à la fin de l’article sur Vermeer où il y a un gros livre (libre de droits) à télécharger but You need to read English for this one… et de temps en temps pour accompagner mes rares news-letters adressées à mes abonné(e)s je joins un lien vers un fichier d’un document rare (du domaine public) à télécharger gratuitement.
Bien amicales salutations.
Jissé