• “Vlà encore deux clampins chez François et Edmée, y sont arrivés avec la patache d’hier. C’est y pas malheureux tous ses bons à rien… et ça y va sur la bouteille. On dit même qu’ils barbouillent des horreurs sur les murs d’la maison”.
  • “L’père Ganne il est fou d’accueillir tout ça chez lui, c’est rien d’bon pour chez nous je t’le dis comme j’le pense mon gars” !
  • “Pour sûr j’te les foutrais à travailler dans les champs tous ses fainéants, ça leur f’rait les mains bien caleuses comme à nous autres. Y a que Monsieur Millet pour qui j’ai dl’estime, voilà un Mossieur qui aime les pauvres gueux, c’est quelqu’un d’la terre celui là ! Bon c’est pas tout j’men r’tourne voir la femme sinon j’va m’faire crier d’ssus. T’as bin d’la chance d’être veuf mon gars, toi t’as la paix chez toi !  J’file à d’main”.

Jean-François Millet est le fils aîné d’une famille nombreuse de paysans. Il connait bien les gens de la terre dont il est un enfant. Doué pour le dessin, son père l’envoie à Cherbourg en 1834 pour étudier dans l’atelier de Paul Dumouchel. Il a tout juste vingt ans. Trois ans plus tard il monte à la capitale et entre à l’Ecole des Beaux-Arts dans l’atelier de Paul Delaroche. Ayant échoué au concours du Prix de Rome, la ville de Cherbourg et le conseil général refusent de lui renouveler sa bourse. La mort dans l’âme il doit quitter les Beaux-Arts et rentrer en Normandie où il vivote en faisant des portraits des bourgeois locaux. A la suite de la mort de sa première épouse (après trois ans de mariage) il fait de constants allers-retours entre la région Parisienne et la Normandie où il rencontre Catherine Lemaire qui lui donnera neuf enfants.

Il se lie d’amitié avec Honoré Daumier qui fréquente l’auberge Ganne. Jean-François décide alors de s’installer à Barbizon village des peintres. C’est dans cet atelier qu’il crée les “Glaneuses” et “l’Angélus”. Il devient ainsi le chantre du travail aux champs et des paysans qu’il connait si bien. Il les aime sincèrement et ceux-ci lui rendent bien qui éprouvent un profond respect pour cet artiste singulier.

La forêt de Fontainebleau est là qui accueille tous ses “rapins” avec leurs tubes de couleurs, leurs chevalets de campagne, leurs toiles, leurs palettes et leurs pinceaux. Ils ont noms Jean-Baptiste Corot, Théodore Rousseau, Gustave Courbet, Honoré Daumier, Jean-François Millet, Henri Harpignies, Félix Ziem, Ferdinand Chaigneau, Frédéric Bazille. Enfin quelques uns comme Eugène Delacroix, Rosa Bonheur, Monet, Cézanne, Renoir ou même Vincent Van Gogh sans y séjourner vraiment passeront à Barbizon le village des Peintres. Tous se retrouvent régulièrement pour des picnics bruyants et joyeux. De solides amitiés s’y nouent. C’est ainsi que Jean-Baptiste Corot restera très lié à ses amis Daumier à qui il offrira une maison sur la fin de sa vie et Jean-François Millet dont il aidera financièrement la veuve à la mort de son ami. Au cours de ces agapes amicales on y parle de peinture, de politique et de femmes. On peint, on boit et on rit beaucoup. La vie est belle même si l’argent fait souvent défaut. Qu’importe l’auberge Ganne leur offre le gîte et le couvert et lorsqu’ils sont désargentés comme souvent ils règlent leur ardoise par des peintures sur les portes, les meubles ou les murs, ça ils savent le faire !

Les “naturalistes”, c’est ainsi qu’on les nomme, s’opposent au formalisme des peintres classiques dont un Jacques Louis David est le parfait exemple. A l’imitation des Anglais John Constable ou Joseph Mallord William Turner ils veulent peindre des sujets simples mais vrais et beaux comme la Nature en offre avec ses paysages colorés, ses champs, ses forêts et ses couchers de soleil, sujets que reprendront les impressionnistes à leur suite.

Tout est prétexte à croquer sur le vif le berger et ses moutons, la mare aux canard avec le vieux saule, les chiens et leur maîtres rentrant d’une journée de chasse. Fini les portraits des nobles et des grands bourgeois comme savait si bien les dessiner ou les peindre Monsieur Jean Auguste Dominique Ingres. Ce sont désormais les humbles qui figurent en bonne place sur les toiles. Ils sont aux champs, ou dans leur cuisine à éplucher les pommes de terre. Ils se nomment Jules, Camille ou Marie et ne sont connus de personne. Ils sont les petits, les obscurs, les sans grades enfin révélés et mis en lumière par la magie des pinceaux de “Messieurs les Artistes”. Ce sont eux que les bourgeois viennent désormais admirer dans les Salons. Plus qu’un retournement de situation, c’est une Révolution! Il aura simplement suffit que quelques amis se prennent d’amour pour un petit village de paysans – un hameau plutôt – de quelques âmes en lisière de la forêt de Fontainebleau.

Ferdinand Chaigneau – croquis préparatoire et étude de composition – Village de Barbizon

Ami(e) qui lit ces quelques lignes, avec les beaux jours, je t’invite à soulever le loquet de la porte de Monsieur Millet pour lui rendre visite en son atelier. Ici quelques reproductions mais surtout des peintures originales. Quelle émotion au grincement des vieilles lames du parquet en pensant qu’elles grincèrent de la même façon sous les pas du Maître de Barbizon. Tu découvriras aussi, à “l’auberge Ganne” un superbe montage vidéo retraçant la fabuleuse histoire de tous ces peintres du XIXème siècles que leurs pas ont conduit vers ce petit village du Val de Marne. ainsi que des tableaux et des dessins de ces artistes naturalistes. Comme je l’ai fais, hier avec ma nièce, et quelques années plus tôt avec celle que j’aimais, à ton tour tu parcourras la “Grande Rue” de Barbizon. Avec la même curiosité tu chercheras la trace de leurs pas sur les pavés, humant l’âme des vieilles pierres de ses maisons, découvrant ici ou là une plaque commémorative avec le nom d’un illustre habitant “ici vécut dans cette demeure…”. Je n’ai pas poussé la curiosité à aller rendre visite en sa dernière demeure – au cimetière voisin de Chailly-en-Bière – à Jean-François Millet qui y repose en paix pour l’éternité car je ne doute pas que son âme vagabonde encore par les prés et les champs environnants à la poursuite du dernier rayon de soleil de la journée. Salut l’Artiste que la douce Lumière de la Belle Nature t’accompagne où que tu sois !

Autoportrait JF Millet – Atelier de l’artiste à Barbizon – Photo JisséBro


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