Albert, le gosse de la rue de Montreuil – “Bébert” pour ses copains de la communale – n’a pas de sous pour acheter de belles images pour coller sur ses cahiers d’école. Pas grave, les belles images c’est lui qui les fabrique avec un stylo bille ou une plume sergent major trempée dans l’encrier en porcelaine blanche de sa table d’écolier.
Le gosse en question – encore surnommé le “rital” parce que ses parents ont quitté le soleil de l’Italie pour s’installer à Paris près de la place de la Nation, c’est le petit Albert UDERZO. L’enfant adore dessiner et il est bougrement doué le drôle !!! Au point qu’un jour sa maîtresse d’école montrera au directeur le cahier illustré par les soins du jeune artiste. Le directeur, comme la jeune enseignante, ébloui par tant de virtuosité chez un enfant si jeune (Albert a alors 7 ans) achète une boite de crayons de couleurs pour lui offrir.
Signe des “Dieux de l’Olympe de la BD” le jeune Albert est né (en 1927) avec six doigts à chaque main et en plus de cela, il est daltonien. Etranges singularités pour celui qui va inscrire son nom dans la légende des géants de l’histoire de la Bande Dessinée et devenir Albert UDERZO le Maître du dessin à la Française. Tout chez Albert Uderzo n’est que paradoxe.
LES DEBUTS
L’enfant grandi, le voilà un jeune homme qui au sortir de son service militaire rentre au journal France Dimanche pour illustrer les faits divers là où le photographe n’est pas autorisé à aller (Scènes de crimes par exemple). Uderzo se frotte avec bonheur au dessin réaliste qui lui servira plus tard à illustrer la série des as de l’aviation “Tanguy et Laverdure” (Scénariste Jean-Michel Charlier).
Le 29 octobre 1959, Albert Uderzo dans la force de la trentaine fait paraitre dans le journal PILOTE la première planche d’Astérix le Gaulois scénarisé par son ami et complice René Goscinny. Ce sera le début d’une longue amitié qui mènera le tandem jusqu’au sommet de l’Olympe triomphante des Maîtres de la BD.
Juge par toi même, d’abord timidement tiré à 6.000 exemplaires, Astérix et son copain Obélix, seront traduit dans 116 langues avec pas moins de 385 millions d’albums vendus à ce jour (nous sommes très loin du tirage modeste des débuts !).
NOS ANCETRES LES GAULOIS
Pouvait-on supposer que celui qui donnerait le mieux – aux Français que nous sommes – ce sentiment de fierté nationale lors des bagarres entre Romains et Gaulois est un émigré (et fils d’émigrés) Italien ? Bel exemple d’une assimilation totalement réussie !
On sent chez Albert une indicible jubilation à baffer du Romain et cette jouissance est contagieuse: On rit de la déconvenue des légions Romaines de Jules César dont la toute puissance est mise à mal par un petit camp de Gaulois rebelles retranchés sur la côte Bretonne. “VENI, VIDI mais pas du tout VICI” en pareille circonstance – et album après album – nous assistons, avec délectation, à un déluge de baffes, de mandales, de torgnoles, de beignes, de bourre pif, de pains dans la tronche des légionnaires qui en perdent leur Latin.
Enfant j’ai appris à lire avec Tintin d’Hergé, appris à dessiner en copiant les personnages du Journal de Mickey. Toutes les semaines, en plus de ces deux titres, mon père nous achetait en kiosque le Journal de Pilote, l’Intrépide Hurra, Le Journal de Spirou et Nano Nanette (pour ma sœur) et ponctuellement les albums des Pieds Nickelés ou ceux de Bibi Fricotin.
En plus d’Astérix, UDERZO a collaboré aussi au journal de Tintin avec Oumpah-Pah le jeune indien. En 1977, à la suite d’un test à l’effort mené sans précaution par un médecin traitant incompétent, René Goscinny – son inséparable compère – meurt d’une crise cardiaque à 51 ans… “Bravo toubib difficile de faire plus nul” ! Heureusement que mon cardio est plus sérieux que ça…
Désormais privé de son meilleur ami, Albert Uderzo assume seul la lourde tache de poursuivre les aventures des irréductibles Gaulois. Très grand admirateur de l’Américain Walt Disney, notre dessinateur s’est mis en tête de créer un Parc de Loisir à l’image de ses héros. Le parc ouvrira ses portes en 1989. Et puis il y a aussi le cinéma d’animation (comme Disney) et l’adaptation de ces personnages dessinés avec des acteurs en chair et en os. Ce seront Gérard Depardieu et Christian Clavier qui tiendront les rôles titres.
Le 24 mars 2020, en pleine crise sanitaire du Covid19, l’ami Albert UDERZO tire sa révérence et rejoint son copain René qui l’attend de l’autre coté de la grande scène du petit théâtre de la vie. Il avait 93 ans et aura survécu 43 ans sans René pourtant il lui sera resté fidèle durant toutes ces années..
Le musée Maillol retrace dans une brillante scénographie, la carrière artistique de ce géant de la BD Française dont la place se situe aux cotés d’Hergé, de Disney, de Marvel, de Tex Avery, d’Edgard P. Jacobs (Blake et Mortimer), bref de tous ces créateurs géniaux qui ont enchantés nos jeunes années (et moins jeunes aussi à l’imitation de la devise du Journal de Tintin créé pour les jeunes de 7 à 77 ans).
On y découvre les œuvres de sa prime jeunesse avec ses cahiers d’écoliers superbement illustrés (dessins de poissons), puis un dessin de Blanche Neige d’après Disney le maître incontesté et la référence pour les jeunes dessinateurs des années trente et quarante. On y fait la connaissance de Clopinard ou Pitonet ces premières créations alors qu’il est encore un adolescent.
Dans les années cinquante, il enchaine les piges: Il ne roule pas sur l’or mais en Simca 5 (la belle Ferrari rouge viendra plus tard pour saluer le triomphe d’Astérix et Obélix). Il fréquente la bande à Spirou, c’est l’âge d’or de la BD Belge avec Franquin (Gaston Lagaffe, Spirou et Fantasio, le Marsupilami), Roba (Boule et Bill), Morris (Luky Luke dont le scénariste n’est autre que Goscinny), Peyo (Les Schtroumpfs).
Avec Charlier il créé un héro musclé façon chevalier de la table ronde, “Belloy”. C’est à cette époque qu’il se liera d’une indéfectible amitié avec René Goscinny.
COMME UN LEITMOTIV: FOURNIR LES BLEUS !
Sur nombre des planches originales est portée en marge l’inscription “fournir les bleus”. Le bleu est une couleur qui n’apparait pas au “flashage” qui est une étape intermédiaire lors de l’impression des planches en couleurs. On tire alors sur trois films transparents les dessins dans les trois couleurs primaires (bleu cyan, rouge magenta et jaune) ainsi qu’un tirage supplémentaire pour les encrages noirs. La superposition de ces films restitue par addition les couleurs de la planche.
Pour l’encrage les artistes utilisent le plus souvent un petit pinceau très fin en poils de martre numéro 00 ou 01. En exerçant des pressions sur la pointe du pinceau, l’artiste peut épaissir son trait. Au contraire, lorsque l’on relâche la pression pour n’utiliser que la pointe du pinceau, la ligne s’affine.
Le pinceau permet ainsi de nuancer l’épaisseur des traits lors de l’indispensable et cruciale étape de l’encrage autrefois directement réalisée sur les dessins originaux au crayon : PAS LE DROIT A L’ERREUR, IL NE FALLAIT PAS SE LOUPER !!!
Désormais les progrès dans le matériel de reproduction (scanners et imprimantes) permettent de travailler sur des reproductions fidèles aux dessins originaux et d’éviter quelques cheveux gris ou quelques nuits blanches.
L’exposition du Musée Maillol se parcourt de salle en salle comme on parcourt une BD de case en case. C’est excellement mis en scène avec des clins d’oeil de ci-delà. Bref c’est un bel hommage à ce génie du crayon noir.
Albert UDERZO nous a offert quelques une des plus belles pages de la Bande Dessinée à la Française. Pour longtemps encore ses héros Tanguy et Laverdure, Astérix, Obélix et Idéfix, Oumpah-Pah et Hubert de la Pate Feuilletée trôneront fièrement en bonne compagnie au coté de Molière, Jean de la Fontaine, Victor Hugo ou Jules Verne dans toute bibliothèque digne de l’honnête homme du XXème siècle.
Avec ce portrait je salue le génie de la caricature et de la mise en scène “comic”. Albert UDERZO est un Maître du dessin au même titre que Rembrandt ou Albrecht Dürer avec un petit quelque chose d’attachant en plus. Avec son comparse René Goscinny il ne se prenait pas trop au sérieux et s’avait rire de lui même ce qui mérite d’être souligné. Alors VENI, VIDI, MERCI j’ai beaucoup aimé cette exposition que je t’invite – toi qui me lis – à découvrir pendant tout l’été (jusqu’au 30 septembre).
Salut l’ami UDERZORIX, par Toutatis que le ciel ne te tombe pas sur la tête. Longue vie à tes personnages, à ton Univers pour les éternels grands enfants que nous sommes. Accolades affectueuses. Respect pour ton œuvre !
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