L’épreuve du baccalauréat de philosophie 2019 avait pour second sujet « A quoi bon expliquer une œuvre d’Art ? ».
A cette mauvaise formulation, avec son « à quoi bon » qui laisserait entendre que cela est inutile et ne sert à rien, j’eusse de beaucoup préféré la question « pourquoi expliquer une œuvre d’Art ?» qui ne porte aucun jugement de valeur « négative » en soi. On pourrait aussi dire à quoi bon étudier ? A quoi bon se lever le matin ? A quoi bon se vêtir ? et même encore « A quoi bon bloguer sur l’Art, le dessin, ou la peinture ? ». OUI, A QUOI BON ?…
Voilà bien longtemps que les années du baccalauréat sont derrière moi, d’ailleurs je n’ai pas passé le bac mais un BT de Technicien Collaborateur d’Architecte qui m’a ouvert les portes des études supérieures et mon entrée aux Beaux-Arts de Paris pour y étudier l’Architecture et passer mon diplôme d’Architecte D.P.L.G. en 1981. Mais un tel sujet ne peut bien évidemment me laisser indifférent et je vais ici y mettre « mon grain de sel » et un peu de poivre aussi !
D’abord après avoir dit que la formulation est mauvaise (selon moi) je veux ajouter que je suis heureux qu’elle ait été posée, sinon en ces termes, du moins pour le sujet qu’elle aborde à savoir l’Art et donc par extension le travail de l’artiste. Puisque le questionneur se fait juge, je vais me faire l’avocat – sinon du diable – de l’Art et des artistes.
Expliquer une œuvre d’Art c’est pénétrer dans le cœur et les entrailles de l’Artiste, c’est sonder les corps et les âmes, c’est donner vie à un dessin, une peinture, une sculpture. C’est enfin et surtout faire sa propre introspection: C’est se poser la question de savoir ce qui nous touche personnellement dans une œuvre et pourquoi a-t-elle autant d’importance pour nous alors qu’après tout ce n’est qu’un bout de papier ou de toile avec de la couleur dessus ?
Notre rapport à l’œuvre c’est le rapport que nous avons à nous même, à notre imaginaire, à nos sentiments, nos émotions. Si une œuvre d’Art nous laisse de marbre alors c’est que, soit l’Artiste n’a pas atteint son but qui est de nous toucher, de nous émouvoir, soit pour quelque raison que ce soit nous ne voulons pas nous impliquer émotionnellement dans cette œuvre. Il nous reste alors à faire un travail sur nous même pour en comprendre les raisons.
Expliquer une œuvre c’est également chercher à en comprendre le sens et l’histoire de sa création. Pourquoi Vermeer ne peignait-il que des petits formats ? Sans doute parce que c’est lié au fait qu’il utilisait une « chambre noire » pour projeter sur la toile l’image inversée des décors qu’il mettait en scène dans sa propre maison. Il est probable que les dimensions réduites de cette « camera oscura » – dans laquelle il prenait place – ne lui permettaient pas d’y introduire des toiles de grands formats.
On pourrait objectiver des raisons psychologiques comme « la modestie » des petits formats opposés à « l’orgueil » des formats gigantesques – comme le « sacre de Napoléon » de David ou « le radeau de la Méduse » de Géricault – mais je pense qu’il faut rester très prosaïque dans les explications en évitant de projeter sur l’œuvre d’un artiste sa propre fantasmagorie.
Imaginons un instant qu’un peintre comme Cézanne soit entrain de peindre des pommes et qu’il s’aperçoive soudain qu’il n’a plus aucun tube de rouge à sa disposition (ils sont tous vides)… Va-t-il renoncer à peindre les pommes qu’il a placé devant lui ou va-t-il les peindre quand même ?
A sa place je les peindrais en bleu tout simplement ! Après les exégètes vont se perdre en conjectures pour trouver le sens symbolique caché derrière cette couleur sans chercher au plus simple, celui de remplacer une couleur absente sur sa palette avec une couleur dont on dispose. Faut-il chercher une raison psychologique au bleu d’Yves Klein ou dire que l’artiste aimait tout particulièrement cette couleur, un point c’est tout…
Expliquer une œuvre ce n’est pas en détourner le sens ou les raisons de sa création pour y plaquer nos propres sentiments mais – c’est là toute la difficulté de l’exercice – avoir une approche raisonnée et sensible pour tenter de la comprendre. Cela implique, de celui ou celle qui explique l’œuvre, tout à la fois de la modestie pour éviter le « je sais » et le remplacer par « je pense que » ou « je crois que » et une solide connaissance de l’Histoire de l’Art.
Heureusement nous vivons une période fabuleuse qui nous permet d’accéder virtuellement aux plus grands trésors accrochés aux cimaises des musées du monde entier. D’un clic de souris nous voilà transporté au sein du Guggenheim Museum, du Metropolitan Museum of Art de New York City ? du Rijskmuseum d’Amsterdam, du Musée de l’Ermitage à Saint Petersbourg ou du musée du Louvre de Paris, de Lens voire même le petit dernier d’Abu Dhabi (Jean Nouvel architecte). Un autre clic et nous voilà face à l’œuvre qui nous intéresse et sur laquelle nous pouvons « zoomer » et tout connaître.
Dès lors il est loisible à tout un chacun de se constituer son propre musée virtuel avec des liens et des images des chefs d’œuvres des Maîtres du passé. Lorsque j’explique une œuvre je me l’approprie, je la fais mienne le temps de l’explication.
Il faut bien sûr ne pas évacuer la dimension pédagogique de l’explication d’une œuvre artistique. Il est essentiel que l’œuvre qui « va servir de démonstration soit choisie avec à propos » et que les explications données soient elles-mêmes pertinentes.
Ainsi dans l’étude sur « les Sabines » au travers de mes explications je transmets alors mon savoir qui est l’acquis de mes lectures, de mes réflexions et de mon expérience en tant que dessinateur. Les explications que je donne sur le tracé directeur sont miennes et résultent de mon observation du tableau. Je ne prétends pas que cela soit la vérité absolue mais cela représente l’idée que je me fais du travail de David.
Ai-je raison ou ai-je tort dans mon analyse de cette œuvre et sur l’explication que j’en donne ? Probablement la vérité se situe entre les deux. J’ai raison de l’expliquer ainsi puisque cela apporte du crédit à ce que je t’enseigne et je te transmets mais j’aurais tort si je pensais que c’est – avec une certitude “absolue” – la façon dont David s’y ait pris pour construire sa composition. C’est une des façons possibles de le faire mais il y en a certainement d’autres auxquelles je n’ai pas pensé.
Il faut garder à l’esprit que l’Art est subjectif et ne se laisse pas enfermer dans un cadre – fut il doré – de règles strictes et précises. Ces règles existent (perspective, harmonies des couleurs, symbolisme des formes ou des couleurs) mais il faut aussi tenir compte de la charge émotionnelle d’une œuvre. Une « mater dolorosa » évoquera un sujet religieux pour beaucoup mais pour la maman qui a perdu un fils ou une fille, cela évoquera d’abord la douleur qui fut sienne lors de la mort de son enfant chéri.
Cela signifie donc qu’il n’existe pas une explication unique et intangible d’une œuvre d’Art mais des milliers d’explications qui sont celles que chacun de nous porte au plus profond de son être. L’explication d’œuvre sert donc ainsi à nous « construire » (ou nous « reconstruire » après une épreuve douloureuse)… On parlera alors d’Art thérapie.
Ainsi est-il utile d’expliquer une œuvre d’Art ? Je te laisse seul juge après avoir lu mon plaidoyer mais il semble évident – du moins je l’espère – que pour moi la réponse est OUI !
Ai-je obtenu la moyenne sur mon devoir de philo ? Non aux yeux des puristes qui n’y trouveront pas le déroulé habituel avec la thèse, l’antithèse et la synthèse, mais qu’importe si je t’ai convaincu de l’utilité de l’exercice auquel tout apprenti artiste devrait se soumettre.
A quoi bon expliquer une œuvre d’Art ? A mieux te connaître mon ami(e) et percevoir l’Art sous un jour nouveau qui t’oblige à sans cesse te remettre en question en gardant ouvert ton cerveau à la beauté du Monde. A bientôt et merci de m’avoir lu jusqu’au bout. Si cet article t’a plu je t’invite à le partager autour de toi…
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Bonjour
je suis tombée par hasard sur votre site et je voulais vous remercier. C’est une mine d’or !
Je viens d’y passer une bonne heure et je n’ai pas fini de l’explorer ! … merci pour vos précieux conseils et merci aussi pour votre sens de l’humour !
Je vous laisse pour me replonger dans ma lecture !
Bonjour et Merci Elisabeth,
Heureux que ce site vous plaise également pour le ton parfois un peu décalé qui est le mien. Je faisais cela déjà dans les stages d’aquarelle et les cours de dessin “en présentiel” – il parait que c’est comme cela que l’on dit aujourd’hui… J’ai donc continué d’adopter une certaine bonne humeur – à défaut d’un bon humour – car le dessin doit avant tout être une source de plaisir.
Bonne visite 😉
Jissé